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le lorgnon mélancolique "et toi mon cœur pourquoi bats-tu ? comme un guetteur mélancolique j’observe la nuit et la mort" guillaume apollinaire ← articles plus anciens 13 septembre 2018 le sauvetage proust dont on s’attache à louer l’intelligence, nous a donné une belle leçon: ce n’est pas l’intelligence qui compte en littérature (et, peut-être même dans la vie), c’est l’impression. il mettait celle-ci au-dessus de tout et ne demandait à l’intelligence que d’éclairer ce qui jusque-là était resté obscur et confus. proust a posé que la peinture d’impressions vraies, de moments essentiels dans une vie, était plus importante que les observations ou les jugements. je crois que ceci est transposable à la critique littéraire. je lis parfois des choses extrêmement intelligentes qui, littérairement parlant, ne m’ impressionnent pas, ne me convainquent pas. pour un romancier, ressusciter la vie est plus essentiel que de connaître les lois qui la gouvernent. d’où mon malaise avec ce roman le sauvetage de bruce bégout dont le prétexte est philosophique, ou plutôt relatif à un moment terrible de l’histoire de la philosophie. le pitch est intelligent, l’idée de départ astucieuse mais la réalisation littéraire, en l’occurrence romanesque, manquée. le philosophe bégout a-t-il la fibre d’un romancier? personne n’est parfait, et pouvoir jouer sur les deux tableaux ne s’improvise pas, ne se décrète pas (surtout si l’idée de derrière la tête est de vouloir caracoler dans les romans dits de la « rentrée littéraire » en lice pour un prix). revenons à l’histoire vraie qui a inspiré cette tentative non aboutie. en août 1938, à fribourg-en-brisgau, leo van breda (1911-1974), jeune père franciscain et étudiant en philosophie à l’université de louvain, se rend dans l’allemagne nazie pour un travail de thèse portant sur des inédits de husserl, philosophe d’origine juive, mort quelques mois plus tôt. mais la situation est difficile, tout est imprégné d’un climat de paranoïa et de terreur. la veuve de husserl vit à l’écart, isolée par les mesures antisémites du régime. lorsqu’il parvient enfin à rencontrer malvina husserl, il se rend compte de la masse énorme des écrits que son mari a laissée. plus de quarante mille pages de manuscrits. il décide alors de les sauver d’une destruction probable et, abandonnant son travail de recherche, « se lance dans le tourbillon de l’histoire » comme l’écrit l’éditeur en quatrième de couverture. il ne sait pas que la gestapo est déjà sur ses traces… c’est là que la pure invention fictionnelle prend le relais. se vouloir romancier c’est mettre la métaphore au-dessus de l’idée, c’est elle qui affiche un style. style grâce auquel le flux de la vie est transfiguré en une « réduction » non pas phénoménologique ( épochè ) mais poétique . une façon de penser le réel à la limite du rêve (ou parfois du cauchemar) où le trivial, le prosaïque est ignoré au profit de l’essentiel. car ce qui nous fait descendre dans les profondeurs de l’âme humaine, ce n’est pas tant l’intrigue que le don du style. et, ici, hélas! le style est défaillant. il est désaccordé par rapport au drame qui se joue en arrière plan, en dissonance totale avec la gravité des situations et des enjeux que vivent les protagonistes. l’allant, le ton enlevé que bruce bégout donne à son récit sonne comme une fausse note qui heurte et gâte cette ténébreuse fresque historico-intellectuelle. les nazis on l’air de sortir d’une comédie à la mel brooks. on est surtout surpris de lire de lourdes maladresses d’écriture (les jeunesses hitlérienne portent des « bermudas »), des anachronismes (« un paquet de sèches ») ou des platitudes dans le choix des adjectifs (« sa mère, d’une beauté remarquable »), décontenancé par le ridicule de certaines comparaisons (« sa voix de timbale fraîche qui carillonnait dans le concert improvisé de ce triste jour »), la soudaine vulgarité du ton faussement relâché, « décomplexé », si à la mode aujourd’hui** pour décrire les personnages – ainsi voici comment le « héros » leo est présenté: « il s’appelle herman-leo van breda. il est né en belgique en 1911, près d’anvers. c’est un jeune gars, grand, les épaules larges, bien bâti, le visage doux et affable, pourvu d’un petit air chenapan. une belle gueule de jongen du nord, quoi! qui, il n’est pas difficile de l’imaginer, doit lui valoir des compliments, des allusions, des entreprises. s’il était né de l’autre côté de l’atlantique, on l’aurait bien vu obtenir un rôle dans un film de gangsters dirigé par mervyn leroy, le genre homme à tout faire en costume croisé, moue d’ange et cigarillo aux lèvres . » pour revenir à ma réflexion initiale, l’i mpression qui reste après lecture est que ce livre, même d’une plume concernée, a été écrit trop vite, pas suffisamment travaillé ni relu. on se demande même si la minceur de l’intrigue* n’a pas conduit l’auteur à « remplir la saucisse » pour donner artificiellement de la matière et « faire roman »? je sais bien que demander un roman « bien écrit » comme du anna gavalda est un tantinet ridicule, mais on peut vouloir éviter 360 pages écrites à la truelle. non, décidément, il n’y a rien à sauver dans le sauvetage . je préfère le bégout philosophe et phénoménologue, spécialiste de husserl, se consacrant à l’exploration du monde urbain et à l’analyse du quotidien. * sur un thème assez proche, on est loin de vie éternelle , le récit bouleversant de felix philipp ingold. ** car l’inverse, c’est-à-dire de la tenue dans l’écriture, serait considéré comme une forme de mépris, d’arrogance vis-à-vis du lecteur qui pourrait se sentir infériorisé… le sauvetage de bruce bégout, fayard, 2018. lrsp (livre reçu en service de presse) illustrations: photographie husserl-archives leuven / éditions fayard. publié dans art et culture , ecriture , livres , philosophie , vexations , vies épinglées | 4 commentaires 9 septembre 2018 ma part d’animal s’il n’est pas englouti dans le flot de la rentrée littéraire – trop de livres se neutralisant en une masse insignifiante – ce livre fera date. des essais sur le végétarisme, il y a pléthore. des témoignages sur le refus de carnivorer, sur la carnivoration, vous en trouverez peu de cette honnêteté, de cette hauteur humaine, de cette force de conviction. et pourtant muriel de rengervé n’a rien d’une illuminée, ni d’une exaltée; bien au contraire, cet écrivain et essayiste* est très posée, elle nous dit l’horreur absolue à la manière de primo levi pour décrire la shoah: un strict et calme constat, sans accents pathétiques ni coups de manche stylistiques. une horreur que nous côtoyons sans la voir, car tout a été mis en œuvre, techniquement, urbanistiquement, socialement, économiquement, culturellement pour occulter le lieu effroyable où elle se tient: les abattoirs où l’enfer des bêtes côtoie quotidiennement celui des hommes qui y travaillent. vestige du prolétariat industriel du xixe siècle, les abattoirs sont les dernières grandes concentrations ouvrières, principalement en bretagne où ils sont le premier pourvoyeur d’emplois. tel un rapport d’enquête ne produisant que des faits, rien que des faits, ce récit met en lumière le quotidien atroce des ouvriers des abattoirs « borel » – premiers producteurs de viande hachée en france – que l’auteur a découvert et minutieusement exploré. au-delà des conditions de travail et du traitement des bêtes, le combat de la « cause animale » est aussi celui de l’anticapitalisme, face à la cupidité de l’industrie agro-alimentaire qui ne recule devant aucune ignominie à l’égard des hommes comme des bêtes (en traitant les hommes comme des bêtes) pour maximiser ses profits. par-delà ce tableau dantesque de la mort organisée (et cyniquement déritualisée) muriel de rengervé s’interroge sur ce qui mène au refus de consommer de la viande. c’est moins la tendance vegan qui est en question ici que le sens profond de l’être végétarien. engagement, décision qui n’est pas une mode, encore moins la marque d’une sensiblerie narcissique propre à